Le voisinage de Port-Royal, ou comment sauver La Rochefoucauld ?
Résumé
Entre le XVIIe et le XIXe siècles, le contexte intellectuel a fait évoluer la fonction mémorielle de la critique littéraire. Concernant les Maximes de La Rochefoucauld, il semble que la critique du XIXe siècle hésite entre une lecture actualisante et une critique historicisante. En effet, les Maximes, qui semblent annoncer le matérialisme des Lumières, suscite le rejet des critiques soucieux de promouvoir un grand siècle chrétien, de Silveste de Sacy à Augustin Gazier. Parallèlement à ces lectures polémiques s’est élaborée, au XIXe siècle, une lecture philologique des textes classiques, qui donne naissance à l’histoire littéraire (Victor Cousin, Sainte-Beuve). À la suite de la découverte de nombreux documents, Port-Royal apparaît dès lors comme le milieu littéraire de La Rochefoucauld. Sainte-Beuve légitime la place de La Rochefoucauld dans le siècle de Louis XIV, et plus généralement dans le canon littéraire. Le gain herméneutique est double : il exempte La Rochefoucauld des attaques qui l’excluent du panthéon classique au nom de la morale chrétienne, mais aussi de construire avec le « moraliste » une figure exemplaire de penseur, légitimé aussi bien par la profondeur que lui donne les échos de la pensée religieuse que par la distance qu’il entretient avec elle. Tout autant qu’une lecture religieuse du littéraire, Port-Royal promeut une littérarisation de la pensée religieuse. Il en retient ce qui peut faire consensus et contribue à constituer une science de l’homme. Le « classique », défini dans le célèbre article de 1850, fait de la littérature le lieu d’un savoir sur l’homme et pour l’homme.